Le lundi 6 mai 2024, le Président français Emmanuel Macron et le Président chinois Xi Jinping publiaient une déclaration conjointe sur l'intelligence artificielle et la gouvernance des enjeux mondiaux. La déclaration a été signée lors de la visite d'État du Président Xi en France.
Les deux pays se sont engagés à prendre des mesures, sous forme de dix points clés, pour traiter les risques actuels et futurs posés par l'IA et pour renforcer sa gouvernance mondiale. La déclaration précède la participation de la Chine au Sommet pour l’Action sur l'Intelligence Artificielle, que la France accueillera en février 2025. La Chine a également invité la France à participer à son Initiative de Gouvernance Globale de l'IA (GAIGI), y compris la Conférence Mondiale sur l'IA qu'elle organise en 2024.
Les deux pays reconnaissent avant tout l'importance de l'IA pour le développement et l'innovation, en affirmant qu'elle "doit être mise au service du bien commun". La déclaration avance qu'il existe des risques associés à cette technologie et réaffirme l'engagement des deux pays à "promouvoir des systèmes d'intelligence artificielle sûrs, sécurisés et fiables". La déclaration explique également que les deux nations s'engagent à coopérer dans le cadre d’une gouvernance internationale, en s'appuyant sur les travaux de l’ONU et de l'UNESCO.
Pourquoi c'est important
Alors que de nombreux pays occidentaux, dont les États-Unis, intensifient leurs efforts concurrentiels contre la Chine, la déclaration a un poids géopolitique. En octobre 2022 puis en mars 2024, les États-Unis ont imposé des contrôles à l'exportation visant à restreindre l'accès de la Chine aux puces d’IA avancées. Ces contrôles visent en partie à ralentir le développement de systèmes d’IA avancés par la Chine.
La déclaration conjointe annonce les plans des deux pays pour "approfondir leurs échanges sur les modalités de la gouvernance internationale de l'intelligence artificielle", indiquant que la France est ouverte à coopérer avec la Chine. L'engagement public de la France contraste avec l’emphase mise par certains de ses alliés sur la concurrence avec la Chine, bien que la Chine, l'UE, les États-Unis et d'autres aient tous signé la Déclaration de Bletchley de novembre 2023 appelant à la coopération internationale sur les risques liés à l'IA et saluée dans la déclaration conjointe.
La déclaration met beaucoup l'accent sur l'importance de l'IA pour l'innovation et le développement durable. Il est certain que les deux pays se préoccupent beaucoup de ces sujets - la France va investir 2,2 milliards d'euros au cours des cinq prochaines années dans les technologies de l'IA avec pour objectif de stimuler la croissance économique et d'attirer des talents en IA. Et la Chine vient de publier un nouveau plan de développement pour l'IA de nouvelle génération, réaffirmant ses ambitions de devenir le leader mondial de l'IA d'ici 2030. À l'inverse, la sécurité et la responsabilité de l'IA sont plus bas sur leur liste de priorités.
En signalant sa volonté de coordonner ses positions avec la Chine, la France essaie de trouver un équilibre entre la coopération nécessaire pour atténuer les risques mondiaux et la nécessité de définir clairement ce que le pays est prêt à tolérer de la part de la Chine en ce qui concerne l'utilisation abusive de l'IA à des fins de contrôle social. C'est un effort louable qui doit néanmoins être soigneusement réfléchi, compte tenu de la position de principe de la France contre la censure et la surveillance étatique en vigueur en Chine.
Enfin, des questions se posent quant au rôle de l’ONU dans la gouvernance mondiale de l'IA. La Chine a ouvertement soutenu le rôle de l'ONU en tant que "canal principal dans la gouvernance mondiale de l'IA". Mais certains experts mettent en cause la possibilité de réaménager les institutions internationales existantes pour assumer la mission de gouvernance de l'IA. Certains pensent que la création de nouvelles institutions ou réseaux sera nécessaire. Certains craignent également que l'implication de tous les États dans la création de nouvelles institutions pour l'IA puisse être impossible à réaliser de manière efficace et rapide compte tenu de la diversité de leurs points de vue, tandis que l'action par un groupe restreint de pays pourrait aider à avancer rapidement pour prendre des mesures décisives.
Point de vue de CeSIA
La déclaration conjointe constitue un bon point de départ pour la future coopération internationale sur la gouvernance de l'IA, qui est urgemment nécessaire dans un écosystème qui se développe rapidement et transcende les frontières. Cependant, cette déclaration devra se traduire par des actions concrètes. La France et la Chine doivent prouver au monde qu'elles sont toutes deux profondément engagées dans la coopération internationale pour protéger l'humanité contre les risques de l'IA et en saisir les avantages. Une manière pour la Chine et la France de montrer leur engagement envers la sécurité de l'IA serait de lancer un dialogue diplomatique sur les risques liés à l'IA et de s'engager à des résultats ambitieux lors des futurs Sommets sur la Sécurité de l'IA, tels que le Sommet pour l'Action sur l'IA en France en février 2025.
Nous appelons la France à aller plus loin avec cette déclaration conjointe. Comme indiqué dans notre tribune pour La Tribune, une discussion collective sur un cadre de régulation internationale de l'IA est urgemment nécessaire. La France doit faire de cette priorité une réalité en définissant et en mettant rapidement en œuvre une feuille de route internationale sur la sécurité de l'IA.